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Famille, Voyage

Marie CHAUCHE – 1er trip en Indonésie, un rêve d’enfant exhaussé

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Marie nous livre son récit d’aventure en Indonésie :

“Cet été, pour la première fois, je goute au bonheur d’un surftrip en Indonésie, voyage que je fantasme depuis mon enfance. Bercée par les récits de mon père, ses photos, cartes postales et souvenirs rapportés de ces semaines passées à l’autre bout du globe, je rêve de visiter ce pays que ma mère pendant ce temps-là nous apprend à reconnaître sur la mappemonde. Sans n’être jamais venue, je reconnais tout de même les coquillages colorés qui figurent sur les posters de ma chambre d’enfant ; les statuettes de bois en forme de tortues qui jonchent mes étagères prennent vie ; les étoffes colorées, batiks et sarongs avec lesquels je construisais des cabanes, sont ici partout présentes ; et mes timbres à l’effigie de fleurs et de papillons géants virevoltent au milieu de nuages de parfum d’épices, d’huiles essentielles et de forêts humides. Pour Victor Ramond, surfeur angloy qui m’accompagne, ce voyage dans le sud de Sumatra est également son premier en Indonésie. Deux rêves de gosse se réalisent.


Levés tous les jours à 5h30 du matin, il nous faut attendre 6h15 pour apercevoir le soleil rougeoyant percer la forêt tropicale qui couvre les plaines et les volcans de la côte ouest de Sumatra. Les pêcheurs, dans leur pirogue de bois colorés, sont déjà en place. Le vent n’est pas encore levé mais la houle est bien là, présente comme chaque matin de ces trois semaines de voyage placé sous l’alignement des astres.

Une longue gauche s’enroule sur le reef, et de temps à autre on aperçoit une tortue prendre sa respiration en surface, ou passer sous une vague en même temps que nous faisons notre canard. L’eau est chaude, trop chaude (30°C), et d’une transparence éblouissante lorsque le soleil est au zénith, au milieu de la journée. Pour les surfeurs de beachbreaks que nous sommes, le défilement du corail sous nos pieds est hypnotisant.

Nous prenons rapidement nos marques bien que les vagues ne soient pas si faciles à cerner. La longueur du pointbreak est égalée par sa variabilité selon les marées, ou encore la taille et l’orientation de la houle. Tantôt régulière, tantôt incertaine, il nous faut quelques jours pour nous adapter et faire le bon choix entre engager un virage, ou plutôt attendre le tube. La complexité du spot contraste avec son apparente perfection depuis le rivage, qui me rappelle mes dessins dans mes cahiers scolaires, expression matérielle de mes rêves d’évasion. La plupart du temps cependant, les questionnements s’envolent pour laisser place à la glisse et à l’enchainement de courbes entre les différentes sections.

Un barrel imprévu et tous les doutes cèdent à l’extase.


L’enchantement se prolonge sur la terre ferme où la route principale est bordée d’un côté par les cocotiers et de l’autre par la forêt tropicale. Cette dernière est entrecoupée de rizières où les étendues d’eau reflètent les silhouettes courbées des paysans à la tâche. Le matin, lorsque l’obscurité se dissipe et que les rayons du soleil traversent le feuillage, l’adjectif « luxuriant » prend tout son sens. Il est curieux de croiser dans cet environnement une panoplie d’animaux domestiques allant des singes dressés pour descendre des noix de cocos, aux chats et chiens affublés de leurs progénitures, en passant par les animaux de basse court et d’élevages, vaches, poules, coqs et chèvres qui déambulent le long des routes et au milieu de l’abondante végétation. Tout ce petit monde vit en liberté excepté certains oiseaux, véritables ornements vivants colorés et bruyants qu’il est ici coutume de mettre en cage.


La majorité des Indonésiens que nous croisons sont eux aussi lumineux et souriants. Et les quelques visages durs et fermés aux premiers abords s’ouvrent dès le premier échange. Les enfants que nous croisons en uniforme sur le chemin de l’école sont partout, gages d’une démographie galopante, au même titre que les maisons en construction qui longent la nationale. Cette voie constitue l’axe de communication principale dans cette région enclavée, encerclée par la chaine volcanique Bukit Barisan à l’est et l’océan Indien à l’ouest. Cette géographie paradisiaque et nourricière s’avère tout aussi hostile et meurtrière lorsque les éléments se déchainent comme en témoignent les panneaux « attention tsunami » ou la mémoire collective lorsque l’on évoque les éruptions volcaniques. Sumatra, 7e plus grande ile du monde, fait en effet partie de la ceinture de feu du Pacifique, connue pour son intense activité sismique.


De temps à autres, les orages éclatent dès le milieu de l’après-midi, alors même que nous sommes en pleine saison sèche. En France, au contraire, nous apprendrons que la sécheresse et la canicule battent des records dans tout le pays au même moment… La variabilité du temps n’affecte pas pour autant notre voyage. Même la pluie est agréable ici. Les gouttes d’eau rebondissent sur la surface océane, lisse et turquoise, et le temps semble s’arrêter. L’instant suivant, le soleil réapparait et inonde l’atmosphère, purifié de ses poussières, d’une intense lumière qui contraste avec l’obscurité du ciel.


A l’eau, nous partageons le line-up avec bons nombres d’étrangers, notamment des Australiens qui sortent de leur pays pour la première fois depuis le covid. Je suis également frappée par la présence de surfeurs débutants (et néosurfeurs), pas vraiment au fait des règles de cordialité et inconscients des dangers qu’ils prennent. Les plus prudents attendent que la série décale dans la passe ou qu’un surfeur tombe à l’inside. Les plus fous, non seulement empruntent des chemins inappropriés pour la mise à l’eau mais font également la course à l’intérieur pour récupérer la priorité. Ils n’hésitent pas à s’élancer la tête la première sur le reef et à recommencer s’ils ne se sont pas blessés.

C’est à se demander ce qui est le plus pénible : la succession de wipe out de la part de kooks qui partent trop à l’intérieur ou le débarquement d’un groupe de 7 bons surfeurs avec leur drone, stickers sur la planche, qui n’ont également que faire des règles de cordialité, même en petit comité. Heureusement, l’endroit où nous étions était assez riche en spots pour ne pas subir ce problème quotidiennement et les vagues fonctionnaient presque toute la journée, si bien qu’il y avait toujours un moyen de trouver un créneau ou un endroit pour éviter le monde et ses désagréments.


Lorsque les locaux rentrent à l’eau, l’ordre se rétablit sous l’effet de leur démonstration d’aisance et de connaissance presque parfaite de la vague. La plupart des jeunes surfeurs indonésiens font preuve de souplesse sur la vague et montrent un surf très épuré et aérien. Nous nous lions d’amitié avec deux d’entre eux, July et Ali, tous deux surf guides et bons surfeurs. Quelques jeunes filles surfent également. Je suis admirative de l’engagement de l’une d’entre elle, qui n’hésite pas à défier des takes off verticaux et qui s’impose déjà au pic par son niveau du haut de ses 13 ans. « My name is Shadira and you ? » se présente-t-elle un jour en me tendant la main. Je suis impressionnée par ce mélange de lumière et de détermination dans son regard, lorsqu’elle me lance avec sincérité « nice to meet you ». Une attitude qui contraste tant avec certaines tensions empruntes de rivalité qui peut malheureusement exister entre certaines surfeuses occidentales à l’eau…


Les dangers du lieu rappellent cependant tout le monde à l’ordre et ne font aucunes distinctions lorsqu’ils frappent. Le reef lacère et peu de leash résistent au violent impact de la vague. Victor peut en témoigner, rentrer en bodysurf sur du reef n’a rien d’une expérience amusante, surtout si cela se produit au mauvais endroit… Le mauvais endroit et le mauvais moment, voilà ce qui détermine la gravité de la situation. Durant notre séjour, plusieurs catastrophes ont été évités : un surfeur néozélandais sauve trois baigneurs de la noyade, dont un qu’il a fallu réanimer. Quelques jours plus tard, deux surfeurs coincent leur leash dans le reef, les empêchant de remonter à la surface. L’un d’entre eux passe ainsi l’intégralité de la série sous l’eau. Au moment où il cesse de lutter, persuadé qu’il va y rester, la dernière vague du set vient à bout de son leash qui cède sous la contrainte. Il faut également veiller aux oursins, dont les épines traversent les chaussons de reef, mais aussi à ce que les plaies et balafres causées par le corail ne s’infectent pas.


Personnellement, c’est un canard qui me provoque ma plus grosse frayeur. En une matinée, la houle double de taille. J’ai la mauvaise idée de ramer sur une petite vague sans réussir à partir. Je me retourne et prends la série à l’impact… Je ne parviens pas à tenir mon canard et me fais tirer sur le reef. Je me fais littéralement pulvériser lors du second canard et après 3 tonneaux la vague me projette violemment contre le corail. Le haut de ma tête encaisse l’impact. Mon crane me lance pendant 2 jours mais heureusement la plaie se révèle artificielle et je m’en sors sans point de suture. Un peu de « chinese betadine » (très efficace pour sécher les plaies) et je suis de retour dans l’eau deux jours plus tard, affublé d’un beau cocard.

Contre toute attente, le traumatisme est encore là et je lutte pendant 1h30 contre mon corps pour réussir à prendre une vague. Ce dernier s’y oppose : à chaque fois coup de rame, je me mets à trembler et mon coeur s’emballe. Je meurs d’envie de profiter de la session et les conditions sont bien plus accessibles que lors premiers jours du trip. Rien à faire, inconsciemment mon corps reste bloqué alors même que Victor me nargue en enchainant les barrels. Il ne reste que 5 jours de trip et il est hors de question que je rentre en ayant peur du reef alors même que cette chute m’a épargnée des points de suture. Lorsqu’enfin je parviens à m’élancer sur une vague sans prétention, je me sens instantanément libérée. La vague connecte et j’enchaine un barrel et un bon turn dans la section. Me voici de retour, le sourire aux lèvres, le coeur dans la joie et l’esprit plein de reconnaissance. Lorsque je sors de nouveau un tube lors de la vague suivante, la page est définitivement tournée et la leçon bien acquise.


Le trip se conclut sur quelques sessions de longboard, que me prête l’un des photographes du coin, Nana. Je remplace le morceau de sac poubelle qui sert de cordelette par une ficelle un peu plus solide et resserre la dérive centrale de la vieille planche qui a passé 3 ans au garage, comme en témoigne l’épaisse couche de crasse noire qui l’entoure. Nous prenons les masques de plonger pour observer les poissons multicolores et les tortues entre les séries longues à venir et ne sortons de l’eau qu’à la nuit tombée, après avoir profité jusqu’au coucher du soleil de ce lieu paradisiaque.


Victor, d’apparence un peu timide est en réalité très social. De sa simplicité et sincérité naissent un sens du contact hors du commun avec les autres et contribuent à quelques belles rencontres avec des surfeurs locaux ou étrangers, qui nous accompagnent et nous guident parfois sur une partie du trip. Ces liens tissés dessineront peut-être les prémisses d’une prochaine aventure.


Quoiqu’il advienne, ce trip aura été riche en apprentissages, en rencontres et en expériences. Impossible à résumer en quelques pages, je retiens cependant que tout arrive à point nommé. Ce voyage est un accomplissement de toutes ces heures passées à faire des closiers sur les beachbreaks bondés de la côte basque ; à se préparer physiquement et mentalement durant les entrainements de sauvetage côtier au sein des Guides de Bain Angloy ; à ramasser dans les shorebreaks landais ; à me familiariser avec le reef durant mon année passée à Tenerife ou durant mon dernier trip en Irlande en hiver dernier à prendre mes premiers petits slabs accompagnés par Felix Moreau, Gabin Verdet, JB Anchiordoquy et Romain Barreau ; … Plus encore, c’est l’accomplissement d’un rêve d’enfant, de la promesse de mon père qui me répétait « Tu iras en Indonésie quand tu sauras surfer » lorsque je le suppliais de m’amener avec lui. … Je rentre de ce voyage le coeur plein de gratitude et avec le sentiment d’avoir grandi et beaucoup appris.”